La tournée d’une troupe de comédiens de Gaza annulée en France

 

Le Métro de Gaza, mis en scène par Hervé Loichemol avec des réfugiés de Jénine, devait être donné une dizaine de fois cet automne.

Le Figaro | Simon Pierre

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La pièce, intitulée Le Métro de Gaza, devait être jouée en novembre théâtre l’Échangeur à Bagnolet, puis au Mans, à Laval et à Nîmes. Mais la tournée du Freedom Theatre, situé dans le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie, a été brutalement interrompue. Depuis l’arrestation de son directeur il y a an et la destruction d’une partie du théâtre, la petite troupe palestinienne tentait de survivre. Mais selon ses promoteurs, la sécurité des acteurs n’était plus assurée aujourd’hui.
Pour le metteur en scène français Hervé Loichemol, l’annonce est un déchirement. « Dans une situation aussi critique, les difficultés se révèlent progressivement, s’accumulent les unes aux autres et finissent par bloquer l’activité », témoigne-t-il. Depuis l’arrestation du président du Freedom Theatre et celle du directeur en décembre 2023, la gestion administrative du lieu et des acteurs est dans un état critique. Le metteur en scène reste évasif concernant l’élément déclencheur de cette annulation. Il laisse entendre que la situation politique et militaire en Cisjordanie ne permet plus d’assurer la sécurité de ses trois comédiens.
Le metteur en scène travaille sur cette pièce depuis 2018 et n’en est pas à sa première déconvenue. « Je souhaite que ce spectacle ait une nouvelle vie », déclare-t-il. Il espère une reprise de la tournée dès 2025. Sa pièce s’inspire de l’exposition Un métro à Gaza, du plasticien gazaoui Mohamed Abusal, présentée en 2012 à l’Institut culturel français de Gaza. L’installation imaginait un réseau de lignes de métro s’étendant de la Bande de Gaza à la Cisjordanie. Interloqué par cette exposition lors de sa visite, Hervé Loichemol décide de creuser l’idée d’une libre circulation à Gaza.

« Un lieu de résistance culturelle pacifique »

« Le travail a commencé par des ateliers d’écritures avec des femmes à Gaza. » Elles s’emparent des stations de ce métro imaginaire pour en raconter des histoires. Les textes recueillis constituent la base de la pièce de théâtre, co-écrite avec la dramaturge palestinienne Khwala Ibraheem. Reste à trouver trois acteurs. « Il semblait impossible de faire un théâtre à Gaza.
J’ai donc pris contact avec le Freedom Theatre à Jénine», explique-t-il. En plein cœur du camp de réfugiés en Cisjordanie, le « Théâtre de la liberté » est « un lieu de résistance culturelle pacifique », soutient Hervé Loichemol.

« Quelques heures après notre arrivée début novembre 2022, le western a commencé. »

Interrompues par la crise sanitaire en mars 2020, les répétitions ne reprennent qu’en novembre 2022. « Quelques heures après notre arrivée, le western a commencé », raconte Loichemol. Jénine est à cette époque l’épicentre de violentes altercations entre Palestiniens et forces de l’ordre israélienne sur fond de construction d’un mur de séparation. Le 8 décembre, jour de la première représentation du Métro à Gaza à Jénine, la ville est secouée par des échanges de tirs entre l’armée israélienne et des combattants palestiniens. « Nous avons commencé le spectacle par une minute de silence, se souvient-il. Quand on va là-bas, on accepte les risques. »
En septembre 2022, le président de l’association Bilal Al-Saadi avait été arrêté et placé en « détention administrative ». Ce dispositif controversé est justifié « comme mesure préventive de dernier recours, dans les situations où le détenu présente une menace sérieuse et tangible contre la sécurité », selon le porte-parole de l’armée israélienne en 2016. En décembre 2023, c’est au tour du directeur Mustapha Sheta d’être arrêté lors d’une opération menée par l’armée. Le théâtre est d’ailleurs en partie saccagé. Seule la modeste salle de spectacle reste intacte. La troupe a fait quelques apparitions, notamment à Lausanne début juin, malgré des financements en berne. «Le Freedom Theatre est une structure très fragile qui repose sur les épaules de quelques personnes. On ne retrouve pas un directeur administratif de théâtre à Jénine comme ça, on n’est pas à Paris. »
Dans la petite ville de Ferney-Voltaire où il réside, le metteur en scène s’inspire de l’esprit intrépide du philosophe des lumières qui a donné son nom à la ville. « Devant l’injustice il appartient aux gens qui prétendent de faire la culture de donner des réponses. De la même façon que Voltaire n’a pas détourné le regard pendant l’affaire Calas », conclut-il.

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Métro de Gaza