La tournée d’une troupe de comédiens de Gaza annulée en France
La tournée du spectacle mis en scène par Hervé Loichemol avec les comédiens du théâtre de Jénine est annulée. Ciblé par l’armée israélienne, le lieu culturel palestinien a vu ses moyens chuter et ses conditions de travail devenir extrêmement difficiles.
Telerama | Olivier Milot
e Métro de Gaza ne passera pas par la France. Du moins pour l’instant. La tournée de cette pièce, mise en scène par Hervé Loichemol avec les comédiens du Freedom Theatre, situé dans le camp de réfugiés de Jénine, est annulée. Elle comptait une dizaine de dates qui devaient mener le spectacle à Bagnolet, au Mans, à Laval, Nîmes, et Yverdon en Suisse.
Rarement le théâtre aura été à ce point percuté par l’Histoire. À l’origine, le spectacle est inspiré par une œuvre d’art du plasticien gazaoui Mohamed Abusal. Il imagine une installation qui présente un réseau souterrain reliant Gaza à la Cisjordanie, Métro à Gaza. Des années plus tard, Hervé Loichemol, qui avait été séduit par son œuvre, le contacte et, avec son aval, commence à travailler à partir de cette idée de métro. Le metteur en scène invite des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie à explorer un territoire imaginaire conçu à partir d’histoires se
déroulant dans les stations de ce métro fictif. Il en tire une pièce écrite à quatre mains avec une jeune autrice palestinienne, Khawla Ibraheem. Mais il est dit que rien ne sera simple dans sa création. Le Covid met un terme aux premières répétitions et il faut deux ans avant de les reprendre et de présenter enfin la première du Métro de Gaza, le 8 décembre 2022 à Jénine. La tournée prévue en Palestine est ensuite partiellement annulée en raison du 7 Octobre, mais le spectacle connaît une nouvelle vie à l’étranger, avec une dernière représentation donnée à Sarajevo au début du mois.
Le Freedom Theatre n’est pas un repaire de djihadistes, il mène
depuis toujours une résistance culturelle pacifique.
Pourquoi interrompre la tournée aujourd’hui alors qu’elle arrivait en France ? « Pour des raisons avant tout politique et militaire, assène Hervé Loichemol.
Le Freedom Theatre est une structure fragile que le conflit a encore contribué à affaiblir. Sa situation d’extrême précarité est la conséquence directe des incursions répétées de l’armée israélienne à Jénine et du harcèlement dont font l’objet les Palestiniens ainsi que le théâtre. »
En septembre 2022, le président de l’association Bilal Al-Saadi a été arrêté et placé en « détention administrative », une mesure d’urgence qui permet d’incarcérer les Palestiniens sans inculpation ni procès pendant une période illimitée. Fin 2023, le Freedom Theatre est ciblé par l’armée israélienne, qui détruit les locaux et les ordinateurs et n’épargne que la modeste salle de spectacle. À cette occasion, le directeur, Mustafa Sheta, est lui aussi arrêté et reste toujours emprisonné à ce jour. « Sans aucune raison !, s’emporte le metteur en scène. Le Freedom Theatre n’est pas un repaire de djihadistes, il mène depuis toujours une résistance culturelle pacifique. »
Au fil des mois, les financements se tarissent, le nombre de permanents se réduit, et le quotidien devient de plus en plus invivable. Comment dès lors espérer continuer à répéter, attirer de nouveaux comédiens et techniciens pour remplacer ceux qui partent, donner des cours de théâtre aux enfants, gérer des tournées… ? Hervé Loichemol veut croire que le théâtre, dont l’aura reste importante à l’étranger, passera ce cap difficile, mais ne cache pas qu’il craint pour la vie de son emblématique directeur artistique, Ahmed Tobasi, de retour à Jénine, et que la salle de spectacle ne finisse par être détruite un jour ou l’autre par les soldats israéliens.
« L’annulation de la tournée est dérisoire par rapport à ce qui se passe là-bas, conclut le metteur en scène, et nous avons d’autres propositions pour 2025. Je ne désespère pas que le spectacle puisse avoir une nouvelle vie. » Une nouvelle vie, c’est ce qui attend le plasticien Mohamed Abusal en France. Après des mois passés dans l’enfer de Gaza et d’autres à attendre un visa au Caire, en Égypte, le créateur de Métro à Gaza est enfin arrivé avec sa famille il y a tout juste quinze jours à Marseille.