Le Labo

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Partenaire de la Compagnie FOR

Ouverte aux professionnels des arts de la scène et dédiée à l’exploration des textes, principalement théâtraux ou poétiques, la Fondation leLabō initie et développe de nombreux projets artistiques et met au concours chaque année plusieurs bourses pour les arts vivants.
Site internet  : https://lelabo.site

 Le 27 septembre 2022 a eu lieu l’inauguration officielle du Labo, au cours de laquelle Hervé Loichemol a été invité à intervenir.

for theatreNous fréquentons rarement les laboratoires par plaisir. J’en ai encore fait l’expérience ces derniers mois et
chaque fois éprouvé la crainte de franchir un seuil définitif. Inquiétude renforcée par des laborantines qui enfonçaient leurs écouvillons et leurs seringues en toute quiétude et me donnaient l’impression qu’entre une grenouille et moi la différence n’était pas frappante.
La situation au Labo est évidemment différente, mais, comme son nom l’indique l’activité ne peut y être que laborieuse et la souffrance en être totalement absente.
Que fait-on au Labo ? On n’y travaille pas vraiment. Dans son sens moderne, le travail suppose en effet, presque toujours, un système de production, d’exploitation, un emploi, des relations professionnelles souvent hiérarchiques, un marché, des échanges de produits, une rentabilité : rien de tout ça ici. On ne produit rien. On est même payé pour ne rien produire.
Dire cette phrase me donne le sentiment très intime de formuler une incongruité, une grossièreté, voire un blasphème, puisque cela contrevient à la religion planétaire qui exige qu’un investissement soit suivi d’un retour et que ce retour soit mesuré, chiffré, évalué en fonction de son taux de profit.
En réalité, ne rien produire ne signifie pas ne rien faire – Le Labo n’est pas le farniente mais ne pas fabriquer de produits commercialisables, c’est-à-dire des spectacles.
Que fait-on donc ici ?
Au Labo, on labeur, on laboure, on creuse, on cultive, on culture, on plante, on peine, on cueille, on recueille, on partage.
Pour reprendre le mot d’Alain Damasio, on « chasse le furtif ». C’est-à-dire le dérobé, le pas-vu-pas-pris, ce qui échappe au visible et nous échappe. Le furtif ne connaît pas l’immobile, le stationnaire, l’institué, voire l’institution, mais l’imprévisible et l’incontrôlable, il est déjà autre quand nous l’identifions. Le furtif c’est le contraire du spectacle – qu’il soit dit vivant plutôt que mort ne change rien à l’affaire, le spectacle c’est le contraire du théâtre, ce qui nous colonise, nous défait, nous abrutit.
Chasser le furtif – mieux, le tracer – c’est chercher amoureusement ce qui est hors programme et qui pourtant nous manque et nous constitue, c’est-à-dire, au fond, le vivant, le vif du vivant, le réel.
Placés hors du système de circulation des marchandises, nous ne sommes plus alors destinés à alimenter le marché du divertissement ou à être les agents de liaison du tourisme international stipendiés pour fortifier l’image de marque des villes et des territoires. Affranchis, fût-ce momentanément, du monnayable et du chiffrable constitue aujourd’hui un déplacement renversant et parfois inconfortable. Car nous savons bien que nous n’évoluons pas en circuit fermé, dans une bulle à l’écart du monde et que nous devrons finalement ouvrir portes et fenêtres pour qu’entre le public et que notre adresse lui parvienne. Mais, comme dit Damasio, « Chasser le furtif c’est d’abord entrer dans l’Ouvert ». Et l’ouvert, comme dit Blanchot, c’est le poème. Aucune fermeture donc, mais un écart, un pas de côté.
Dans ce temps suspendu, la proposition de Simone fait de nous des chasseurs de fantômes, non plus des créateurs, mot répugnant, mais d’humbles intercesseurs. Cette ambition et ce désir d’utopie expliquent sans doute au fond le lien que j’entretiens depuis si longtemps avec elle.
Et puisqu’elle nous invite à être des veilleurs, mais aussi à être bref, je finis par une citation d’une autre Simone, Weil la bien nommée, qui nous donna l’exemple d’un œil sans paupière : N’être qu’un intermédiaire entre la terre inculte et le champ labouré, entre les données du problème et la solution, entre la page blanche et le poème, entre le malheureux qui a faim et le malheureux rassasié.
HL
27-9-22